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Il était une fois… Louis et Jerry

Le 02 février 1980, Jerry Lewis remettait à Louis de Funès un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Histoire de deux destins croisés unis dans l’art de faire rire les spectateurs du monde entier

Depuis 1975, la grande famille du cinéma français se réunit pour la cérémonie des Césars. Ce soir du 2 février 1980, la salle Pleyel accueille la 5ème édition. Jean Marais (La Belle et la Bête, Fantomas) préside. Pierre Tchernia, Thierry Le Luron et Romy Schneider en sont les maîtres de cérémonie. Claude Brasseur et Miou-Miou repartent avec les Césars du meilleur acteur et de la meilleur actrice. Au premier rang, deux comédiens parmi tant d’autres présents ce soir-là attendent symboliquement de monter sur scène. L’émotion est à son comble lorsque Louis de Funès reçoit des mains de Jerry Lewis son César d’honneur. Démontrant ainsi tout son génie égocentrique, l’acteur américain se lance alors dans un discours en anglais ponctué de french accent sous le regard tendrement amusé de Louis de Funès. « Louis, it is my pleasure to present to you… » La salle éclate de rire, le plus bel hommage que pouvait recevoir ces deux comédiens d’exception.

De la scène à l’écran

Le choix de Jerry Lewis pour célébrer la carrière de Louis de Funès n’est pas un hasard tant leur carrière respective recèle de points communs. Issu du music-hall, la scène est tout d’abord le théâtre de leurs premiers succès. En 1942, Louis passe par le cours Simon grâce à son interprétation d’une scène des Fourberies de Scapin de Molière. Il use ensuite ses talents de pianiste de jazz jusqu’au bout des nuits parisiennes alors sous l’occupation avant de rejoindre la bande de comiques troupier des Branquignols à la fin des années 40. Dès 1950, la future star de la Grande Vadrouille gravit les échelons du succès avec nombres apparitions toujours plus convaincante de présence dans des succès populaires tel que Ah ! les belles bacchantes (Robert Dhéry 1953) ou La traversée de Paris (Henri Verneuil, 1956) où il donne la réplique à Jean Gabin et Bourvil. Se rapprochant un peu plus du premier plan au cinéma, Louis de Funès connait ses deux premiers triomphes au théâtre dans les pièces Oscar et Pouic-Pouic. L’adaptation cinématographique de ce dernier titre sera synonyme de consécration pour l’acteur. Une reconnaissance certes populaire en nombre d’entrées mais décrié par la presse spécialisée dans le cinéma d’auteurs. Les Cahiers du Cinéma, par exemple ne goûtent guerre aux pantomimes de Louis de Funès. Ce paradoxe critique et populaire est un point commun fondamental avec son illustre cousin américain.

Docteur Jerry & Mister Louis

Malgré leur 12 ans d’écart, Jerry Lewis connait lui aussi la consécration sur scène avant de passé au grand écran. Son duo Martin & Lewis formé avec Dean Martin sillonnent les boites de nuit et théâtres, allant toujours plus loin dans l’absurde en privilégiant l’improvisation et les interactions comiques. Hollywood leur fait les yeux doux, Dean et Jerry enchainent les succès au cinéma avant de se séparer. Jerry Lewis prend son envol en solo en réalisant ses propres films. Le Dingues de ses Dames, Le Zinzins d’Hollywood et Docteur Jerry & Mister Love sont parmi ses titres les plus célèbres. Perfectionniste et exigeant dans l’élaboration de son art, Jerry Lewis verra pourtant son aura décliner sur le sol américain vers la fin des années 60. Une popularité remise en cause par un humour considéré par la nouvelle génération issue de la contre-culture comme daté. Idem pour le Nouvel Hollywood porté par Francis Ford Coppola (Le Parrain, Apocalypse Now) et Dennis Hopper (Easy Rider) qui bousculent la façon même de concevoir et d’appréhender le 7ème Art. Louis de Funès est alors à l’apogée de sa gloire avec La folie des grandeurs et Les aventures de Rabbi Jacob (Gérard Oury, 1971-1973). Jerry Lewis est quant à lui terrassé par l’accueil réservé sur l’œuvre la plus ambitieuse de sa carrière, The Day The Clown Cried. Histoire d’un clown au temps des camps de concentration, le film est bloqué par un imbroglio juridique qui empêche sa sortie en salle. Ce film maudit est aujourd’hui encore invisible.

King of Comedy

Proscrit dans son pays, l’américain se retrouve soutenu et honoré en Europe. La France de la critique qui rejette tant Louis de Funès ne tarit pas d’éloges sur Jerry Lewis. A contrario, Rabbi Jacob ira faire un tour à Hollywood en 1973 où il est nommé au Golden Globes, anti chambre des Oscars dans la catégorie Meilleur film étranger. On ne peut décidément pas être prophète en son pays. Jerry Lewis restera loin des écrans huit années durant. En 1980, sans doute inspiré par le passage à la réalisation de Louis de Funès (l’adaptation de L’avare de Molière) qui lui confère un statut d’auteur, l’Académie des arts et techniques du cinéma décide donc d’honorer l’acteur aux millions d’entrées par un César. Le choix de Jerry Lewis en remettant peut alors être considéré comme une tentative de réconciliation de la critique et du public. Jerry au meilleur de sa forme fait le show, tente d’embrasser Louis sur la bouche, discourt en franglais, fait ce qu’il sait faire le mieux au monde, divertir une audience riant aux éclats. Louis reste dans une retenue et cette humilité qui le caractérise tant. Il semble néanmoins cacher une émotion dans son regard, rejouant au détour d’une pitrerie de Jerry son personnage irrité par la situation. Le duo est au diapason, on aurait presque rêvé les voir sur grand écran dans une aventure dont eux seul avaient le secret. Louis tirera sa révérence en 1983, année où Jerry retrouvera définitivement les plateaux de cinéma devant la caméra de Martin Scorsese sur La valse des pantins (King of comedy en version original).

Aujourd’hui, Jerry a rejoint Louis au panthéon du 7ème art. Le César d’honneur a trouvé demeure au cœur du Musée de Louis de Funès à Saint-Raphaël. Il paraitrait même qu’en tendant l’oreille à l’approche de la sculpture, on entende encore raisonner les rires de la Salle Pleyel de ce fameux soir du 02 février 1980.

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César d’honneur exposé au Musée Louis de Funès de Saint Raphaël